À l’heure où beaucoup se prononcent « contre » les choses, je vais vous livrer un plaidoyer « pour ». « Pour » plus d’Europe.
Force est de constater que nos libertés, au sens large, ne pourront continuer de s’exercer pleinement que si elles s’adossent à une Europe forte.
La pandémie nous a montré combien l’exercice et la préservation de nos libertés, dans notre quotidien, pouvaient être bouleversés ; combien notre union pouvait être fragilisée.
À plus grande échelle, elle nous a aussi permis de comprendre que le corollaire de notre liberté est notre autonomie, dans un monde toujours plus imbriqué où nos dépendances, en temps de crise, deviennent des vulnérabilités.
Prenons l’exemple des chaînes d’approvisionnement mondiales. Jusqu’alors, certains croyaient dur comme fer qu’elles portaient immuablement la garantie d’approvisionnement, quelles que soient les circonstances.
Cette croyance s’est fracassée sur la réalité du « China First » pour les masques ou du « America First » pour les vaccins. Nos partenaires américains ont en effet bloqué les chaines d’approvisionnement d’éléments essentiels pour la fabrication de vaccins.
Ce n’est qu’une fois que l’Union européenne s’est dotée d’un outil de contrôle des exportations que nous avons pu engager un dialogue avec l’administration américaine pour débloquer, composant par composant, produit par produit, producteur par producteur, les chaines d’approvisionnement.
Ceci pour vous dire qu’il n’y a pas de fatalité. Quand l’Europe a la volonté de se rassembler et de marcher en rangs serrés, elle réussit.
La stratégie vaccinale, incarnation de la réussite européenne
En effet, si l’Europe est aujourd’hui le premier producteur mondial de vaccins – à ce jour 650 millions de doses ont été livrées sur le continent et 700 millions ont été exportées – ce n’est pas le fait du hasard.
Quand la Présidente de la Commission m'a demandé de prendre en charge la Task Force sur les vaccins, le défi était de taille, et il fallait aller très vite.
Nous étions en effet confrontés à une chaine de valeur parmi les plus complexes – je rappelle qu’il faut plus de 400 composants pour faire un vaccin – et qui ne pouvait fonctionner normalement du fait de contraintes aux exportations imposées par certains de nos partenaires.
Mais nous nous sommes mis au travail, avec acharnement. En un temps record, nous avons réussi, ensemble, la montée en gamme de notre appareil productif européen, en qualité, en vitesse et en volume. Nous avons su transformer notre excellence scientifique et technologique en leadership industriel.
Aujourd'hui, ce sont 55 usines qui sont mobilisées jour et nuit dans toute l'Europe, y compris en France, comme par exemple à Chenôve en Côte-d'Or, où l'usine CordenPharma fabrique déjà l'un des composants du vaccin de Moderna – dits « précurseurs de lipides ».
Nous devons et nous allons poursuivre nos efforts pour l’Europe et pour le reste du monde – je pense bien évidemment à l’Afrique.
L’arrivée d’une quatrième vague de contaminations nous rappelle que le contre-la-montre dans lequel nous nous sommes engagés va durer. Il nous faut donc nous donner les moyens de tenir la distance et d’être prêts face aux futures crises sanitaires.
Il est désormais essentiel que nous nous dotions de sites de production de vaccins multi-acteurs, multi-technologies et en réserve activable. Une telle capacité de réaction est primordiale pour faire face, de manière autonome, aux besoins d’une production de masse soudaine de médicaments ou de vaccins en cas de crise.
L’Europe, levier indispensable à la maîtrise de notre destin industriel
Le besoin d’une Europe plus autonome va bien au-delà de la seule question des vaccins.
L’Europe doit se donner les moyens de prendre son destin économique et industriel en main.
Bien sûr, nous avons des atouts indéniables : une main d’œuvre qualifiée, des laboratoires de pointe, des infrastructures de premier plan et, bien sûr, notre marché intérieur comme épine dorsale.
Mais nous devons aller plus loin. Nous devons faire en sorte que l’Europe ne soit pas en position de grande dépendance dans les années à venir. Je crois en une Europe leader sur les marchés d’avenir, pas en une Europe sous-traitante.
Nous devons pour ce faire développer notre capacité industrielle en Europe. Il ne s’agit pas ici de vouloir tout produire mais de diversifier nos sources d’approvisionnement.
Prenons l’exemple des terres rares, ces matières premières critiques essentielles à la production d’aimants permanents pour l’automobile, pour les énergies renouvelables, pour la défense et l’aérospatial. Malheureusement, nous dépendons presqu’entièrement de la Chine. Cela ne peut pas durer.
Développer notre capacité industrielle, c’est aussi prendre une part plus importante dans les créations de valeurs et d’emplois dans les domaines stratégiques.
Je pense notamment aux batteries et aux microprocesseurs, qui vont émerger rapidement. À ce titre, la France dispose d’atouts, avec notamment l’implantation d’une usine de batteries à Douai ou encore l’écosystème microélectronique de Grenoble.
Dans cette quête, soyons clairs, la maîtrise des technologies de rupture sera déterminante. Nous n’avons pas le choix, il est impératif de les maîtriser sur l’ensemble de la chaine. L’Europe ne peut pas s’arrêter à l’effort de recherche – nous sommes très forts et souvent en avance – ni à ses ambitions réglementaires.
C’est dans cette optique que la Commission a voulu doter l’Europe d’une stratégie industrielle plus affirmée, plus intégrée, plus ambitieuse, pour l’ensemble de nos 14 écosystèmes industriels.
Ces écosystèmes permettent d’identifier les besoins et apporter les réponses pas seulement pour les grandes entreprises mais pour l’ensemble des PME et prestataires de services dans la chaîne de valeur. Cela permet aussi une plus grande cohésion entre Nord-Sud, Est-Ouest.
À commencer par les semiconducteurs. Notre ambition est de permettre à l'Europe de fabriquer les semiconducteurs les plus puissants et les plus performants au monde.
Aujourd’hui, nous produisons moins de 10% des semi-conducteurs mondiaux. De plus, l’Europe est bloquée technologiquement à des semi-conducteurs autour de 22nm quand le marché d’avenir est à 5nm, voire 2nm. C’est donc la direction que nous allons prendre.
Nous devons donc rééquilibrer les chaines mondiales industrielles de semi-conducteurs, en produisant d’ici à 2030, 20% des semi-conducteurs mondiaux, tout en avançant sur le design et la production des semi-conducteurs de demain.
Autre technologie de pointe hautement stratégique, notamment pour notre transition écologique : l’hydrogène. Là aussi, notre ambition est de transformer l’avantage concurrentiel européen en recherche et innovation en déploiement industriel.
Nous devons accroître nos capacités de production d'électrolyseurs et de piles à combustible, construire les premières aciéries à hydrogène du monde et commercialiser des avions à hydrogène. C'est notre chance de façonner l'avenir de l'économie de l'hydrogène.
Sans le nucléaire comme énergie de transition, pas de Green Deal
Toujours sur cette question d’hydrogène et de transition écologique. Ne soyons pas naïfs : sans le nucléaire comme énergie de transition, pas de Green Deal. En respectant toutes les normes de sécurité, nous pouvons utiliser des réacteurs nucléaires existants en fin d’exploitation programmée ou que l'on souhaite arrêter.
Il s’agirait de déconnecter les réacteurs du réseau et d’utiliser l’énergie qu’ils produisent exclusivement pour faire tourner des électrolyseurs et ainsi fabriquer de l’hydrogène propre, jusqu’à l’arrêt définitif de la centrale. Cela permettrait l’émergence d’une nouvelle filière en attendant un déploiement d’énergie renouvelable suffisant.
Je parlais de transition écologique. Pour ce qui est de notre transition numérique, il nous faut nous préparer à la bataille des données.
Nous le savons, nous sommes au-devant d’une vague de données industrielles qui va structurer nos capacités industrielles. Si nous avons manqué la vague des données personnelles, l’Europe ne peut manquer celle des données industrielles.
Et je le répète, c’est une véritable bataille qui est engagée. Nous devons nous donner les moyens d’assurer notre souveraineté des données. Il est impensable que des lois extraterritoriales puissent permettre un accès à de telles données.
C’est un enjeu à la fois réglementaire – nous y travaillons avec le Data Governance Act et le Data Act – et technologique, avec comme finalité la sécurité de nos données. C’est pour cela que nous devons par ailleurs engager l’Europe dans la course sur le Cloud & Edge – l’informatique en nuage et en périphérie – afin de stocker et de traiter nos données en toute sécurité.
Toujours sur cette problématique de sécurité, n’oublions pas les technologiques quantiques. Oui l’Europe doit être le premier continent quantique. Que ce soit en termes de cryptage, de protection contre les cyber-attaques, d’accélérateur quantique ou de communication sécurisées, l’Europe doit prendre le virage du quantique. S’il est un domaine central pour la souveraineté de demain, c’est bien celui-là.
La maîtrise du quantique nous rendra également plus forts sur les technologies spatiales, elles aussi primordiales pour l’autonomie stratégique de l’Europe.
Nous possédons déjà deux programmes leader au monde, Galileo et Copernicus, mais nous pouvons et devons aller plus loin. C’est pourquoi nous travaillons sur le développement d’une infrastructure de connectivité par satellites, en orbite basse, et qui intégrerait des innovations technologiques telles que le cryptage quantique. C’est un projet primordial pour assurer la résilience des réseaux terrestres, et éviter une dépendance future de l’Europe sur des systèmes non Européens.
Nous travaillons également sur la mise au point d’un système de gestion du trafic spatial pour à la fois suivre les débris et permettre de garantir un accès autonome à l’espace autonome. Il s’agira pour cela d’assurer la pérennité économique et technologique des lanceurs européens.
L’Europe, garante de nos valeurs et de notre liberté
Le champ de nos libertés n’est pas seulement philosophique ou juridique, il est aussi technologique, industriel, économique.
Il n’en demeure pas moins que la liberté est par essence une valeur européenne qu’il faut promouvoir et sauvegarder.
Vous m’entendrez souvent parler de ce que j’appelle l’espace informationnel. Nous devons veiller à ce qu’il soit assorti de droits et de devoirs. L'Europe est et sera toujours ouverte à tous, mais à nos conditions et dans l'intérêt de nos citoyens, dans le monde analogique comme dans le monde numérique.
Tout ce qui est autorisé ou interdit hors-ligne doit l'être également en ligne. Et c'est de la responsabilité des plateformes hébergeant ces contenus que de s'en assurer.
Qui dit espace informationnel dit aussi médias. La sécurité des journalistes et des blogueurs n'est pas acquise partout sur notre planète. Les régimes autoritaires font tout – même détourner des avions – pour tenter de les faire taire.
L'indépendance de la presse est précieuse et fragile, nous devons la protéger. Elle est la condition préalable à la liberté de la presse, au pluralisme et à la démocratie. Nous devons veiller à ce que ceux qui diffusent des informations bénéficient des normes de protection les plus élevées, tant en ligne que hors ligne.
Nous travaillons actuellement à l'élaboration d'une loi européenne sur la liberté des médias, qui viendra compléter notre arsenal législatif européen en la matière.
Pour conclure, je voudrais simplement rappeler que rien n’est acquis.
Nos libertés cardinales ont été mises à mal au début de la pandémie, mais l’Europe a su réagir pour les préserver.
L’Europe a su faire preuve d’inventivité et d’agilité. Elle a su montrer sa puissance.
Cela doit nous donner la confiance nécessaire pour relever les autres défis auxquels nous faisons face. Nous savons désormais ce que nous voulons et nous savons comment y parvenir.
L’Europe est le premier continent démocratique au monde, fruit d’une communauté de destin et de valeurs. Continuons de porter cette union ensemble.
Détails
- Date de publication
- 27 août 2021
- Auteur
- Direction générale de la communication